DÉPLAISIR (PRINCIPE DE)

DÉPLAISIR (PRINCIPE DE)
DÉPLAISIR (PRINCIPE DE)

DÉPLAISIR PRINCIPE DE

En cela qu’il entraîne pour le vivant la nécessité de réduire le développement du désagréable à un minimum, le déplaisir fait principe. La production de déplaisir est en effet liée à l’apparition d’une image mnésique, dans laquelle se répète l’expérience organique de la douleur. Mais, alors que le stimulus provoquant celle-ci est de nature exogène, le déplaisir émane de l’intérieur du corps, lors du réinvestissement de l’objet hostile: plus qu’à la perception c’est à la trace mnésique ravivée qu’il appartient de libérer «inopinément» (unvermuteter Weise ) du déplaisir.

Le problème «décisif» est alors le suivant: comment empêcher cette décharge de déplaisir, c’est-à-dire comment contenir les images motrices qui la provoquent? Nous sommes ainsi renvoyés à l’origine de la transformation d’une satisfaction pulsionnelle en expérience du déplaisir.

La distinction entre déplaisir et souffrance constitue à cet égard une des pièces maîtresses de la théorie freudienne: la souffrance est en effet toujours liée à l’investissement d’une partie du corps ou d’une représentation d’objet; en ce sens, elle représente seulement une des formes sous lesquelles le déplaisir est susceptible de se manifester. Celui-ci accompagne la simple augmentation de la tension; et, à ce titre, il entre comme élément constitutif non seulement dans les états d’affect mais également dans ceux de désir. Être sensible au déplaisir équivaut ainsi à prendre conscience de la présence de «motifs contraignants» (zwangsartige Motive ) au sein du système psychique.

Toute théorie complète du déplaisir exigerait que soit expliquée la forme particulière revêtue par celui-ci dans des états aussi différents que la douleur, le deuil, l’angoisse, la colère ou l’extrême joie. Cette théorie se trouvant jusqu’à présent seulement esquissée, il importe d’abord de suivre les moments constitutifs de l’expérience du déplaisir.

Seul un «désir», nous dit Freud, est susceptible de mettre l’appareil psychique en mouvement; cependant, l’apparition de celui-ci suscite une tendance à la décharge motrice qui, comme telle, est impuissante à faire baisser la tension. Il faut alors avant tout «différer» cette libération spontanée, laquelle provoquerait une augmentation des stimuli endogènes, sous les auspices d’une hallucination, c’est-à-dire d’une représentation, dont le propre est de s’intensifier, tout en excluant pour le sujet la possibilité d’un apaisement. La voie de décharge doit acquérir la «capacité de se faire comprendre» (Verständigung ) pour que l’évitement du déplaisir permette la production d’un plaisir «réel», sous la forme d’une modification extérieure appropriée à la représentation.

Freud est ainsi conduit à formuler ce qu’il appelle la première loi biologique, ou loi de la défense primaire: «Tout ce que je qualifie d’acquisition biologique du système neuronique est suivant ma pensée figuré [dargestellt ] par une menace de déplaisir, dont l’effet consiste en ce que les neurones conduisant à une libération de déplaisir ne sont pas investis. C’est ce qui constitue la défense primaire [...]. Ainsi le déplaisir demeure le seul moyen d’éducation [Erziehungsmittel ].»

Cependant, la crainte du déplaisir rend au sujet son «délaissement» (Hilflosigkeit ) compréhensible au moment précis où celui-ci s’exprime sous la forme du cri. L’association du son avec une perception «par ailleurs complexe» met en évidence l’objet comme hostile; si bien que l’information véhiculée par les cris sert à caractériser l’objet, là où, avant le déplaisir, l’on ne possédait aucun indice de qualité.

Il s’agit donc assurément d’utiliser d’abord la libération du déplaisir comme signal permettant de détourner l’attention «ailleurs». Mais cette défense spontanée n’est point sans laisser des séquelles dans le processus cogitatif, sous la forme d’une «tendance à inhiber le cours des pensées» dès que le souvenir pénible est ranimé et que le déplaisir paraît. Ce détournement réitéré sans effort de l’attention loin du souvenir pénible fournit ainsi le «prototype (Vorbild ) et le premier exemple du refoulement psychique».

Lors de la constitution de la réalité ou de sa reconnaissance, les voies auxquelles s’attachent du déplaisir ne sauraient en effet être exclues sans danger pour le sujet. Concurremment à la première loi biologique, suivant laquelle il s’agit avant tout d’éviter du déplaisir, les phénomènes psychiques doivent se soumettre à une deuxième loi: celle de l’attention aux différents aspects du stimulus, entraînant un surinvestissement de la perception, dès que surgit un indice de qualité ou de décharge, lié à une image mnésique.

Le déplaisir fait alors principe, non plus en excluant un champ d’investissement, mais en poursuivant sa mission originaire qui consiste à développer le sens de la «réalité», c’est-à-dire de ce qui par excellence est susceptible de traumatiser. Car le traumatisme est aggravé par l’ignorance du sujet; et l’effet traumatisant, une fois détaché de sa cause, engendre un surcroît de déplaisir. À cet égard, il est frappant de constater que des erreurs logiques peuvent devenir pénibles, comme si la soumission au réel était une exigence si fortement intériorisée que le danger de sa méconnaissance nous était immédiatement signalé sous forme de déplaisir.

Loin d’identifier donc le principe du déplaisir à celui du plaisir, il faut en ce deuxième sens faire de lui l’équivalent du principe de réalité. Partagé entre l’exigence de se soustraire à l’expérience du «pénible» et celle de s’y soumettre, le sujet se voit contraint, de par la nature contradictoire du principe de déplaisir, à mettre en œuvre des techniques qui lui rendent la vie tolérable. Il lui faut se rompre à l’exercice consistant à accélérer la mobilisation d’investissements latéraux, lors de toute irruption d’un réel déplaisant à l’intérieur du système psychique: le patient enregistrement du déplaisir permet seul au sujet d’éviter cette attitude extrême qui consiste dans le «déni de la réalité», premier maillon de cette série d’attitudes par lesquelles le sujet s’efforce d’échapper à la contrainte du déplaisir. La folie, entendue au sens le plus général, constituerait cette ultime tentation de se soustraire à l’expérience du pénible, grâce au détournement de l’attention loin de la cause déplaisante. Mais la raison s’y trouve victime de sa ruse; lié à l’image mnésique, le déplaisir resurgit toujours, impossible à vaincre si l’on n’a déjà su ménager des points où l’amarrer. A finalement raison du sujet ce que celui-ci, ne pouvant subjuguer, prétend ignorer.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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